Je ne vous appartiens pas T 1

Je ne vous appartiens pas

1je ne vous appartiens pas

 

2004 : ma première séance de thérapie par l’EMDR

 

Ma sœur et moi sommes à l'étage, dans le couloir. Mes parents sont en bas. Il fait jour.

Je crois qu'on est encore en chemise de nuit. J'entends le bruit des clefs, et le bruit du porte-clefs en bois qui frappe contre le mur de l'entrée. Ca y est, on va y avoir droit ! Il l'a décroché ! J'entends crier mon père. Je sens la peur monter. Je tremble, je respire rapidement. Il faut se cacher, vite, vite… Je sens qu'on va encore morfler ! Je regarde autour de moi, je suis dans le couloir, j'entends les pas bruyants monter les escaliers, et cette voix qui hurle "qu'est ce qui se passe encore ?" Je regarde encore partout. Ma sœur est allée se cacher dans sa chambre. Moi, je voudrais me faire aussi petite qu'une souris. J'ai envie de pleurer, j'ai peur, très peur. Je vois déjà son visage devant le mien, il va me faire mal. Je vois à ma gauche la salle de bain, je fonce, et je me terre contre le mur, juste en dessous du porte-serviettes. Je me cache, recroquevillée contre la baignoire qui je l'espère va me cacher. J'entends des cris, des pleurs, j'ai envie de pleurer. Je pleure déjà sûrement sans m'en rendre compte. Et je le vois, son visage devant moi, ses yeux exorbités de rage et rouge de colère. Je le vois qui me cherche et qui m'a trouvée. Il est là, immense devant l'entrée de la salle de bain. Et vlan, et vlan, et vlan ! Combien de fois encore ces lanières vont me fouetter le corps ! ! ! ! Les lanières du martinet s'abattent sur mes cuisses. J'ai mal. Je me protège le visage de mes bras. J’ai peur, j'ai mal, je pleure. J’ai envie de devenir toute petite, ne plus exister, j'ai trop peur de lui. "Non, je ne veux pas, non, tu me fais mal, je n’ai rien fait ! ! ! " Je ne sais pas si je supplie mon père ou si ce sont des voix dans ma tête qui hurlent. Les miennes. J'entends beaucoup de bruit dans ma tête, des cris, des pleurs. Ma sœur est sûrement elle aussi en train de pleurer. "Arrêtez de vous chamailler ! Ça suffit ! Je ne veux pas savoir qui a commencé !" Je sais que j'ai encore fait pleurer maman à cause de nos chamailleries entre sœurs ! J'ai mal dans mon cœur, j'ai mal, car je sais que c'est ma sœur qui a commencé ! Et je me sens injustement punie ! Et il repart, me laissant humiliée, blessée intérieurement et extérieurement. Les lanières ont encore laissé des marques de boursouflures sur mes jambes. J'ai mal sur mes jambes, j'ai mal à mon cœur. Mon papa me déteste. Mon papa ne m’aime pas. Ça ne sert à rien de dire non, non ça sert à rien !"

 

 

Je ne vous appartiens pas

 

Je suis très mal. J’espère toujours le moindre signe qui me montrerait que Rémy reste attaché à moi. Je suis folle de lui. Pourtant, il m’a fait mal. Je rentre chez ma mère. J’ai envie de me saouler. Je pique des bières à Pascal dans le frigidaire et je bois, je déteste cela, je déteste le goût mais je bois, pas beaucoup mais ça me donne l’impression d’avoir une solution pour ce mal qui me ronge ! et je me goinfre de tout ce qu’il y a dans le frigo, pâtes, pâté, plats cuisinés… tout ce qui me passe sous la main. Je dévalise le frigo, puis je passe aux placards, gâteaux, tablettes de chocolats entières, biscuits…tout y passe…J’ai honte, je me demande ce que vont penser ma mère et mon beau père lorsqu’ils verront le vide dans la cuisine. Même les boîtes de raviolis froides ont été vidées. Une vraie orgie, trop plein que j’ai vomie après la nausée… Je vais très mal, je suis en dépression, j’ai envie de mourir ! Je passe mes journées à pleurer ! Je me torture pour ce garçon et il n’en vaut même pas la peine !

J’ai fait une peinture, je suis au ciel avec Dieu, moi qui ne crois pas en Dieu. C’est le comble, il est là, en face de moi. J’ai dans ma main un revolver, et lui, il tient dans sa main mon cœur brisé. Cela m’apaise ! Ma mère voit cela. Je lui montre ma peinture pour qu’elle voit ma souffrance.

- Ma fille ne pense pas au suicide, non, ce n’est pas possible, ma fille est folle, bonne pour l’asile.

Elle me dit cela au lieu de me réconforter ! Elle parle de moi à la troisième personne alors que je suis en face d’elle. Sa fille, elle est là, en face d’elle, elle souffre, elle voudrait que sa maman lui demande pourquoi elle a envie de se suicider. Pour seule réponse, j’ai droit à « je suis folle, je suis bonne pour l’asile. »

Merci maman de me comprendre si bien, merci maman de me réconforter. Si je me suicide, tu n’auras rien fait pour arrêter mon geste.

Merci maman de ne penser qu’à ton propre bonheur. Ta fille veut se suicider mais non ça n’arrive pas chez toi ce genre de choses ! On est une famille normale. Je me sens seule et incomprise !

Je ne vous appartiens pas

 

Nous allons au sacré cœur, même si je l’ai déjà visité. Nous montons les marches qui nous mènent à la basilique. Et lorsque je rentre, il se passe quelque chose que je n’arrive pas à exprimer. Je tiens la croix que Rémy m’avait donnée à un moment donné. Ces derniers jours, j’avais besoin de la porter à mon cou. Un signe peut être de ce qui allait suivre ? Je me sens toute petite et tout est immense. La lumière inonde le lieu. Je me sens baignée d’amour, remplie d’amour, un bien être indéfinissable. J’ai l’impression de ne faire qu’un avec le monde. Je sens comme une présence, une douceur qui me transperce et qui me lie à la terre entière. Je suis en communion avec le monde, je ne suis qu’amour. Je marche comme une somnambule, tenant la main de Yann tout le long de la visite de la basilique. Lorsque nous sortons, tout le groupe porte une croix de bois autour du cou. Tout le monde a une croix. Je ne sais pas ce qui m’arrive, je ne sais pas ce qui vient de se passer. Je viens d’être transpercée de l’amour de Dieu. Je ne réalise pas encore que je viens de vivre mes premières hallucinations visuelles et que je viens de rentrer dans le début de ce qui sera une phase maniaque. Bienvenue chez les bipolaires !!

Je ne vous appartiens pas

 

Un soir, il me retrouve essuyant mon vomi par terre car je n’ai pas pu atteindre les toilettes à temps après avoir bu la moitié d’une bouteille de porto. Il découvre tous les soirs au toucher mes pansements qui couvrent les traces de mes coupures que je me fais quotidiennement dès qu’il sort, peut-être est-ce parce que je ne supporte pas l’abandon, parce que c’est dès qu’il sort que je m'auto détruit, dès qu’il a le dos tourné. Il se sent impuissant face à ma douleur. Il me prend dans ses bras, me promet de ne jamais m’abandonner, de me protéger, de m’aider et de me trouver un psychiatre avec l’aide de sa mère. Je recommence à suivre un psychiatre conseillé par ma belle-mère, mais le courant ne passe pas. Peut-être parce que c’est un homme. Il a l’air âgé, usé par son travail, et ne semble pas s’intéresser à ce que je dis, et il a le nez dans ses papiers et ne me regarde même pas attendant que je dise des choses mais je ne sais pas quoi dire.

Le psychiatre m’a donné un antidépresseur, et l’effet est fulgurant ! Je me remets à vivre comme jamais comme si la dépression n’avait jamais existé et ma perte de poids est fulgurante autant que ma nouvelle lubie pour le végétarisme. Je me remets à écrire intensivement, à me dire que je vais écrire en plus de mon autobiographie un livre sur mon anorexie. J’écris sans cesse, je dors moins. Je deviens hyperactive, et je ne tiens plus en place. Est-ce les effets secondaires de mon antidépresseur ? Est-ce que je suis hyperactive à cause de mon anorexie ? Je passe mon temps à faire du vélo d’appartement, à tout faire pour perdre mes calories en trop. Je compte les calories, je compte ceux que je perds en m‘activant. Je sors souvent au retour de ma formation m’acheter des livres sur les sujets qui m’intéressent sur le moment : l’anorexie, le lien mère-fils, les régimes végétariens. Je souhaite devenir végétarienne. Je passe mon temps à déménager les meubles dans le nouvel appartement que nous avons eu peu après la naissance de notre enfant. Rien ne me convient, je passe mon temps à déménager les meubles de place. J’ai tellement de livres que je fonce m’acheter avec mon père une bibliothèque.

Je ne vous appartiens pas

 

Je suis irritable, je pète complètement les plombs à la maison, je suis violente, la moindre bêtise de Tristan me met dans une rage folle. Je me fais mal et Tristan assiste à mes scènes de folie. Pour éviter de le frapper, je jette tout ce que je trouve sur mon passage, je mets en vrac sa chambre, je jette ses jouets, je casse les objets, je suis invivable, je ne me contiens plus. Florent assiste des fois à ces scènes, ces hurlements. Je pète les plombs. Et je me sens possédée par un monstre dont je ne connais pas le nom. Je vais sur le net et je fais des recherches avec le mot « automutilation ». Je tombe sur les sites qui parlent du trouble borderline, et du trouble bipolaire. Au début, je me dis que non, ce n’est pas tout à fait moi, je ne suis pas aussi violente, je n’ai pas des relations conflictuelles avec ceux qui m’entourent, je n’ai pas d’appétit sexuel, je ne passe pas du coq à l’âne dans les relations, dans mon boulot, loin de là, je n’ai pas de hauts, juste des bas. Mais l’idée fait son chemin. En relisant mon autobiographie, je note cette cassure dans ma vie, qui fait penser à une phase maniaque : cette cassure, c’est celle que j’ai lorsque je découvre la foi. Je m’aperçois aussi peu à peu que ce que je considérais comme normal ne l’est peut-être pas : mes hallucinations, mes délires, ma foi qui certes m’a porté mais qui a peut-être été excessive sur certains points, mes projets délirants, mon hyperactivité, mes dépressions atypiques, mes tentatives de suicide trop nombreuses…je vois peu à peu ces hauts et ces bas… Je réalise que mes dépressions n’ont rien de tel. Même en dépression, je bouge sans arrêt, je dors très mal, ou je ne réussis pas à m’endormir avant deux trois heures du matin. Je vois les dépressions de mon entourage, la dépression de Florent : inactivité, mal être, à ne rien vouloir faire, sans avoir des idées suicidaires, à se dévaloriser, à avoir envie de dormir, et passer son temps affalé sur le canapé, donc caractérisée par un amoindrissement de l’activité. Alors que moi, dépressive et au bord du suicide, je suis comme branchée sur prise, à bouger et à penser dans tous les sens, à m'autodétruire et à être impulsive. Et surtout, je n’ai pas de réponses pour ces hallucinations auditives et visuelles et délires divers, mystiques ou autre, de possession...ni quelle est le nom de ma pathologie ? Borderline ? Bipolaire ? Psychotique ? De toute manière, je le sais déjà, je suis folle, tout le monde me l’a déjà dit depuis que je suis adolescente, je suis folle, bonne pour l’asile, autant donner un nom à ce que j’ai pour m’enfermer ou me trouver un traitement, une solution pour sauver mes enfants et ma famille !!!

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