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La folie a deux visages

 

L'abeille solitaire



 

Vite, vite, je vais être en retard. C'est la chose que je déteste le plus au monde. Les gens en retard. Comme ma mère qui ne sait pas ce qu'est d'être à l'heure. Cela m'angoisse de ne pas respecter un planning que je me suis forgée mentalement pour me sécuriser d'un monde dont je ne comprends pas les règles. 

Il faut dire que d'arriver en plein milieu de cours n'est pas ce qu'il y a de plus plaisant. Tout le monde vous regarde comme une bête curieuse. J'en suis morte de honte moi qui veux me faire aussi petite qu'une souris, rester dans ma bulle, mon monde et être invisible. 

L'école m'a toujours angoissé. Toute cette cohue, ce bruit, ces gens qui hurlent et dont on ne sait jamais ce qu'ils veulent, les bagarres, les filles qui se chamaillent et se font des coups bas pendant que les garçons tirent les cheveux de ces dernières. Pour moi, l'école est une jungle où je tente de comprendre les lois et de m'intégrer sans jamais y parvenir. 

 

Je suis assise sur mon siège et j'observe, muette, les écoliers qui grattent sur leur cahier, en attendant de voir ce qu'il faut faire. Je suis bonne élève mais mutique. 

Sur mes bulletins est écrit élève rêveuse, dont on n'a pas encore entendu le son de sa voix. 

Rêveuse, peut être, j'observe et je m'invente des histoires avec les professeurs qui me prennent sous leur ailes moi qui suis en manque d'affection dans une famille dysfonctionnelle. Je rêve d'un ailleurs, je rêve d' un autre monde plus simple, plus concilient pour des enfants fragiles comme moi. 

 

  • As-tu quelque chose à rajouter, m'interroge-t-on. 

Sur quoi ? Je suis prise au dépourvue, que dire, je deviens rouge puis blanche comme un linge. J'étais encore partie dans mes rêves de monde idéal. 

 

Vite, vite, je vais être en retard, je déteste cela, me faire remarquer. Je cours, j'halète, je transpire,. L'école est à deux pas mais me semble être à des kilomètres. Je suis un escargot quand je cours, je suis lente et ne tiens pas le rythme, j'ai toujours été lente de nature. Ma mère me dit que je suis lymphatique. Je rate une marche. Je tombe.  Ce n'est pas la première fois. Je suis maladroite. Et raide. On me dit que je suis incapable de faire de la gymnastique. Je suis raide comme un piquet. 

 

Je suis quelqu’un de solitaire, j’ai quelques copains mais les filles me sont étrangères. Je n’ai jamais compris pourquoi. Pourquoi j’ai toujours eu plus d‘affinités avec les garçons, et leurs jeux, aller piquer les clous et le marteau dans la garage de mon père et partir à l'aventure avec deux garçons derrière moi pour nous imaginer dans un autre monde, pendant que nous construisons notre cabane quelques peu décousue avec quelques planches et bouts de bois ramassés ici et là au gré de nos découvertes. 

Mais les filles? Nous jouions parfois aux cartes dans la cour de récréation, je me les faisais piquer systématiquement et je n’avais que mes yeux pour pleurer, enfin presque puisque cela ne m’interessait finalement pas plus que cela. Juste un jeu comme un autre pour tenter de rentrer en contact avec cette bande d’extraterrestre à nattes. 

Je désespérais de leur parler. Parler de quel sujet ? Et avec qui? Moi, mes loisirs n'étaient pas les leurs. Barbies? Non que nenni ! Je plongeais mon nez dans les livres ou dans mes feuilles blanches soit pour dessiner ou pour écrire. Ou sinon, je passais des heures à faire des puzzles. 

Leur parler de ma famille? Aussi bizarre soit elle, je n’avais pas envie d’aborder le sujet. Je me sentais vraiment différente par rapport aux autres. J’avais l'impression de vivre à la périphérie du monde et aucun sujet qu’elles abordent n'étaient à ma portée. 

Alors, je faisais du vélo ou du bricolage avec les garçons avec qui je faisais des courses poursuites ou avec qui je faisais les montagnes russes en cross avec mon VTT sur les bosses à la sortie de l'école. 

 

Ma mère a voulu organiser mon anniversaire, qui d’habitude se fête en juillet. J’ai invité les élèves de ma classe, un jour de juin. 

Le jour J, je me suis retrouvée devant mon gâteau à souffler mes bougies avec pour seule invitée ma voisine qui avait eu la gentillesse de venir. Personne d'autre n'était venu. 

 

L'école , une jungle pour moi. 

 

Je suis un fantôme, je suis invisible et j’ai tout fait pour le rester. 

Alors arriver en retard, et avoir toutes ces paires d’yeux qui allaient me fixer comme une bête noire, c'était au-dessus de mes moyens. 



 

Je cours de plus en plus vite, même si j’ai l’impression de faire du sur place. J’ai un point de côté, je suis essoufflée. Je m'arrête quelques secondes. Respire un bon coup. Il faut que je me calme. Ce n’est rien me dis- je, ils ne vont pas me manger. Mais c’est plus fort que moi. J’ai une terreur qui monte en moi. Une angoisse qui me remonte du ventre jusqu’au cœur, m’obstrue la gorge et m'empêche de respirer. j'étouffe. J'étouffe de mes propres rigidités, de mes propres règles et horaires, les barrières que je me fixe mentalement chaque jour, chaque heure et chaque seconde de ma vie. tout doit être réglé comme une horloge. Et aucun grain de sable doit enrailler la machine sinon, je suis perdue. 

 

J'arrive à la porte de l'école primaire. Je monte les escaliers, manquant une nouvelle fois de me ramasser par terre. J'ai quinze minutes de retard. Pour moi c'est énorme. Cela embrouille tout mon planning, et mélange ma tête. 

Je frappe à la porte de ma classe de cm2. 

 

  • Oui ? 

 Je tente de parler pour me confondre en excuse mais les phrases se mélangent dans ma tête. 

  • Alors maya on a butiné en route ? C'est la nouvelle mode des abeilles ? 

 

Les autres élèves rigolent et se moquent de moi. Je ne comprends pas la blague de mon instituteur. Il montre mon survêtement car nous avons sport aujourd'hui. Je m'observe des pieds à la tête. Maman m'a acheté un jogging de haut en bas rose à rayures noires. Une abeille rose et noire. Je suis la bouche grande ouverte ne sachant que dire. Je reste clouée sur place. 

 

L' instituteur me prend le bras pour m'emmener dans la salle mais c'est comme s'il m'avait brûlé. 

 

Maya, c'est un surnom qui m'est resté depuis ce jour-là. Maya la petite abeille autiste.

 

 

 

 

 

La folie a deux visages

Il y a comme une autre

Une petite voix qui susurre

Des mots vides

Obsessions, obsessifs

Comme un fantôme

Une ombre

Ana qui me suit

Me poursuit

Je connais ses méfaits

Ses travers

La mort qui attend toute âme

Qu’elle enveloppe de ses ailes

Je ne veux pas

Non, je ne veux pas

Qu’elle brûle mes entrailles !

Il y a comme un monstre en moi, qui me dicte le moindre de mes actes, le moindre de mes pas. Je suis double, multiple, psychotique, délirante, assoiffée de vie et de mort. Je bascule d’un état à un autre, tantôt lumière, tantôt obscurité. Je vacille entre deux pôles. Il y a des jours, où je ne me reconnais plus, où le monde autour de moi m’est étranger, ou peut-être est-ce moi l’étrangère, la funambule qui tente de se tenir sur un fil, prête à tomber d’un côté ou de l’autre. Jour. Nuit. Un interrupteur avec lequel un gamin joue. C’est peut-être l’enfant en moi qui vacille.

J’étais si calme. J’ai oublié, oublié les démons qui m’habitaient dès l’enfance.

Je me rappelle ce jour, où je me suis emportée, balançant la chaise à travers la pièce, manquant d’atteindre ma sœur.

L’ange était devenu démon.

Il y a eu tant d’autres jours où je ne me suis pas reconnu. Trop de jours où je me suis senti possédé, désarmé par la violence de mes colères et de mes comportements, moi la patience même, la sagesse même, le calme même. Je suis devenue une autre.

Ce jour-là, j’ai vu Dieu, j’ai vu la lumière, l’amour, les croix que portaient tous les passants qui m’entouraient. J’ai découvert un chapelet sur la porte du métro. Je voyais Dieu partout. Ce jour-là, j’ai été béni de Dieu, et il m’a fait porter sa voix à travers le monde.

Ce jour-là, il faisait chaud, nous étions dans un parc d’attraction, j’étais avec mon petit ami et j’ai retiré mon haut, dévoilant mon soutien-gorge, moi si pudique, au grand désespoir de mon ami.

Ce jour-là, j’ai donné mon corps à un inconnu d’un jour.

Ce jour-là, j’ai affronté plus de trois cents personnes, seule face à eux à témoigner de ma vie, moi si mutique, si timide, si introvertie. Je me suis sentie poussée des ailes, à parler pendant des heures.

Ce jour-là, j’ai osé affronter ma mère manipulatrice et mon beau-père pervers. Je leur ai sorti tout ce que je pensais, moi qui n’osais jamais rien dire et qui encaissais comme toujours le mal que l’on me faisait. J’ai tout plaqué, les démons du passé, je leur ai claqué la porte.

Ce jour-là, j’ai tout claqué, mon ex-mari, notre appartement, mon ancienne vie.

Ce jour-là, je me suis crue magnétiseuse et je voulais soigner les gens par la force de ma foi.

Ce jour-là, j’ai allumé mon mari devant ses copains, le provoquant et en faisant des propositions alléchantes, aux yeux de tous.

Ce jour-là, et tant d’autres, j’ai attenté à mes jours, car le démon habitait en moi, et m’infligeait les pires souffrances. Je voulais que tout s’arrête.

Ce jour-là, j’ai vomi toute ma vie, maigre comme un fil après avoir fait une orgie. Comme tant d’autres jours.

Ce jour-là, mon mari m’a dit que je ressemblais à un squelette, un autre jour, j’étais « mammouth »

Ce jour-là, je me suis lacéré la peau, le bras, le poignet à coup de cutter et de scalpel, comme tant d’autres fois.

Ce jour-là, j’ai espéré que la mort viendrait et mette fin à mes souffrances.

Ce jour-là, j’ai donné la vie, mais j’ai tant de fois espéré la mort. Ce jour-là, tu es venu au monde, avec tes beaux yeux bleus, et tes cheveux si fins qui blondissaient. Tu as pris mon sein, tu m’as regardé, et j’ai voulu vivre. Vivre pour te donner l’amour que je n’ai pas reçu, ou si mal reçu. Je voulais te montrer que la vie pouvait être belle, remplie de joie, que je serais toujours là pour toi, toi et tes deux frères. Je me battrais toujours pour vous, jusqu’à en donner ma vie. Je vous regarde et je me dis que la vie est un cadeau, malgré les hauts et les bas, car ce jour-là, quand je t’ai mis au monde, même  si on venait de me diagnostiquer mon trouble bipolaire,  la vie valait d’être vécue.

Mémoire traumatique

Camille est allongée sur le divan, plongeant dans les profondeurs de ses souvenirs, pendant que le thérapeute la met en état hypnotique.

5, 4, 3, 2, 1, 0. scinder son inconscient qui n’est qu’un immense puzzle insondable et un épais brouillard sur lequel elle marche quotidiennement. Des sables mouvants. Comment affronter l’avenir quand elle ne sait ce qu’elle a été par le passé ? Des flashs, des photos souvenirs sur lesquels se raccrocher. Rien du vide, que du néant. Le noir complet. Parfois des voix. Les rires ont disparu. Une odeur d’un plat sur lequel se raccrocher. Sa mère ne l’aide pas beaucoup non plus. Sa mère lui parle d’un dramatique accident de voiture où son père est mort et où Camille s’est retrouvée en coma et en catatonie pendant plusieurs semaines. À son réveil, elle avait perdu tout son passé.

Camille a dû se reconstruire avec du vide, se construire de nouveaux souvenirs. Une mère militante. Camille est admirative de sa mère militante pour les droits des femmes, pour la cause des femmes qui subissent des violences diverses, les violences sexuelles, les violences conjugales, par des manipulateurs, par des pervers narcissiques, par des pervers sexuels, qu’elles soient mineures ou majeures. Elle défend la cause des enfants maltraités, l’inceste, contre la prescription. Sa mère est sur tous les fronts. Presque hyperactive. Lorsqu’elles sont face à face, les deux femmes discutent sur ces sujets à bâtons rompus, en accord pour défendre leur droit au respect. Camille sent que cela la touche au plus profond d’elle-même sans en connaitre la cause.

Sa mère a peu gardé de photos souvenirs. Pourquoi ? Camille ne le sait pas. Camille est allée fouiller dans son acte de naissance, puis remonter dans l’arbre généalogique, et continuer ses recherches sur internet afin de trouver des traces de photos de son père décédé. Il était avocat. Il doit être facile de retrouver quelques traces de son visage. Camille rêvait de cet homme qui devait être un homme bon. Un avocat défend certainement les bons. Sa mère l’avait épousé parce qu’ils avaient fréquenté les mêmes bancs d’école.

Maman adorait le droit, elle qui aimait militer pour le droit des femmes. Elle l’avait surement rencontré dans les cours des tribunaux. Maman rêvait de tout faire, journaliste, avocate, juriste… mais elle a vécu aux crochets de papa, dit Camille. Elle m’a dit qu’elle se sentait grandir auprès d’un tel homme si réputé et si primé même si elle ne travaillait pas. Il la rendait si belle.

Il semblait si beau dans son habit, dans les journaux qui le congratulaient pour ses exploits. Il avait du succès, et réussissait à gagner ses procès.

Camille a de la peine, elle aurait voulu se souvenir de lui, être dans ses bras, lui dire « je t’aime papa » et qui lui réponde « moi aussi ma princesse, je t’aimerai toujours »

Mais elle sait au fond d’elle-même qu’il l’a toujours aimé. Très aimé, à la folie, passionnément.

Camille plonge dans les profondeurs avec son hypnothérapeute. Il lui fait ouvrir une porte.

Je vois une petite fille qui court sur la plage, mes parents me regardent. Je suis toute nue. Je fais des châteaux de sable. Papa est là pour m’aider. Lui aussi est nu. Tout le monde est nu. Il m’emmène sur ses épaules dans la mer. Je crie. Je ne veux pas être mouillé. Il me chatouille. Je rigole. Il me prend contre lui. Il se met à genoux dans l’eau et il me met à califourchon sur lui. Je sens quelque chose de dur entre ses cuisses. Cela me fait mal. Je pleure. Papa, tu me fais mal. Ce n’est rien ma princesse, c’est mon genou. Je le crois. Il embrasse mes larmes. Je m’apaise.

Camille sort de son état et ne comprend pas ce qu’elle vient de voir. Elle a l’impression d’étouffer. Quelque chose se bloque dans son ventre.

  • Pleurer si vous le voulez lui dit le thérapeute, cela doit sortir.

Mais elle ne veut pas y croire, elle ne peut pas y croire. Et ce un faux souvenir. On lui a tant de fois rapporté des histoires de faux souvenirs induits par l’hypnose. Camille est bouleversée, et ne veut pas croire à ce qu’elle a vu. Son père, avocat, qui combat les méchants, ne peut pas avoir fait une chose pareille. Il a fait une erreur, il n’a pas fait exprès. Quel âge avait-elle ? Cinq ans ? Six ans ? Ce n’était qu’une seule fois ? Ce n’est pas si grave.

Ce soir, Camille va à un meeting avec sa mère qui traite du syndrome d’aliénation parentale lors de dénonciation d’abus commis par le père sur un enfant. Beaucoup de personnes sont présentes. C’est un sujet qui fait débat, car il est encore courant que dans les tribunaux, les mères qui dénoncent les abus que subissent leurs enfants victime d’inceste de la part de leurs conjoints se retrouvent dans le banc des accusés, car on les rend coupables de dénonciation calomnieuse pour soustraire les droits parentaux au père alors que c’est leur enfant qui a fait part de faits incestueux à leur mère.

  • Maman, c’est horrible ! cela veut dire que ces pauvres mères sont obligées d’être hors la loi ou de remettre leur enfant dans les mains de leur père et laisser les abus continuer sans que la justice ne fasse quoi que ce soit ? Et on ne fait rien ?

  • Non la justice ne fait rien, elle est pervertie, car on considère que les droits du père sont aussi importants que ceux de la mère quand bien même l’inceste peut avoir été reconnu. Même si la fille avoue que son père abuse d’elle on dira que c’est sa mère qui lui aura perverti l’esprit pour avoir sa pleine garde !

  • Et que peut-on faire pour changer cela ?

  • Nous sommes là ce soir pour faire changer cette mentalité justement. Pour que la parole de l’enfant soit reconnue. Parce que le syndrome d’aliénation parentale n’est qu’une invention et est quelque chose de minoritaire, mais que l’on sort à toutes les sauces parce que l’on refuse de reconnaitre que l’inceste existe, que l’on refuse de reconnaitre que l’homme est un loup pour la femme. Nous sommes dans une société d’homme, de machiste, une société majoritairement dirigée par des hommes et même les tribunaux le sont aussi. On fait silence sur l’inceste comme on fait silence sur la violence conjugale, sur la perversion narcissique, tout ce qui fait que l’homme domine sur la femme, que l’être humain domine sur le plus faible. Pas étonnant que certains se fassent justice soit même.

  • Parce que certains le font ?

  • Oui certains en arrivent à cette extrémité-là !

Camille n’ose pas demander à sa mère si elle savait ce que son père lui avait fait dans la mer, si elle savait et s’il avait recommencé.

Camille a peur de la vérité, peur de savoir que son père n’était peut-être pas celui qu’elle croyait. Il avait un métier honorable. Pourquoi aurait-il tout gâché ? Il connaissait la loi. Camille se demande si elle devait retrouver voir le thérapeute. Faux souvenir ou vrai souvenir ?

Tant pis ! Elle y va quand même. Elle a commencé, elle continue. Elle a soif de vérité. Plutôt une vérité que rien du tout. Et si c’est la bonne, tant mieux. Une fois qu’elle aura un ensemble, elle pourra en parler à sa mère et en discuter. Mais tant quelle n’a rien de tangible, sa mère ne voudra rien lui dire. Elle finit même par croire que la thèse de l’accident de voiture n’est qu’un leurre. A-t-elle raison ? C’est galvanisé que Camille se rend à nouveau chez son thérapeute, prête à en découdre avec son amnésie.

5, 4, 3, 2, 1, 0. me voilà plongée dans le quotidien de notre vie de famille. Je ne suis pas bien âgée. Mes parents et moi mangeons. Maman a l’air inquiète, et papa a un air sévère. Je suis assise sur ma chaise, trépignant, sentant le malaise, la tension du moment. Je sens que cela va éclater, comme tant d’autres fois.

Papa traite d’horreur le plat qui vient d’être servi, plat que pourtant il aime en temps normal dit maman, mais il n’est pas d’humeur. La journée s’est mal passée visiblement. Maman me dit d’aller dans ma chambre. Je pleurniche, car je n’ai pas mangé. Je m’en vais et me cache derrière un mur, regardant mes parents se quereller. Maman ne dit rien, mais papa lui hurle dessus, l’insulte, la frappe, la gifle, puis lui met des coups de poing dans le ventre avant de lui attraper les cheveux pour lui mettre la tête dans le plat, en lui disant de bouffer sa merde.

Camille qui idéalisait son père réalise qu’il n’est finalement qu’une ordure parmi tant d’autres. Cet avocat qui défendait les bons contre les méchants n’avait qu’une façade. Bon à l’extérieur et méchant au sein de sa famille. Qu’a-t-il fait de plus qu’elle ne sait ? Comment sa mère a-t-elle pu supporter ce monstre ? Camille comprend mieux pourquoi sa mère défend si ardemment les femmes victimes. Ce n’est pas qu’une cause qu’elle embrasse parce qu’elle y croit, mais parce qu’elle a vécu au plus proche la violence elle-même. Camille comprend mieux sa mère. Est-ce que toutes les femmes qui militent sont d’anciennes victimes ? des hommes ont-ils rejoint le groupe ? Faut-il passer par la souffrance pour comprendre cette cause ?

Sa mère l’a emmené une fois sur un meeting qui traitait des pervers narcissiques, des manipulateurs. Les femmes victimes de violences conjugales ne sont pas toutes des femmes « battues » « victimes de coups », les coups ne sont qu’un aspect des violences subies par les femmes. La violence psychologique, la violence sexuelle, la violence économique sont autant de violences. Certains sont des parfaits manipulateurs. Des hommes à doubles facettes ; parfaits d’apparences et des monstres à leur domicile si bien que les femmes qui parlent et dénoncent ne sont pas crues. Camille buvait les paroles de sa mère qui était l’une des nombreuses femmes à prendre la parole, témoignant à cœur ouvert du côté machiavélique de certains hommes, sans pour autant montrer l’horreur de ce qu’elle avait vécu. Camille ne savait pas à ce moment-là que sa mère en avait été une de ces victimes. Et elle n’imaginait pas à quel point la perversité de son père allait l’amener à utiliser la manipulation pour aller à ses fins.  

5, 4, 3, 2, 1, 0. « Je suis la princesse de papa. Papa me fait un câlin, il est fâché avec maman, alors il est parti me rejoindre dans mon lit. J’entends maman pleurer dans sa chambre. Maman est triste ? Oui, maman est triste dit papa. Pourquoi ? Elle est déprimée. Cela veut dire quoi déprimée ? Cela veut dire être triste. Mais pourquoi elle est déprimée, papa ? Je ne sais pas, les femmes sont souvent tristes. Parce que vous vous êtes fâchés ? Oui, je suppose ! Et moi aussi je suis triste ma princesse, tu me consoles ? Sinon, je vais pleurer comme maman. Mais je veux consoler maman aussi, dis-je. Tu es ma princesse, et une princesse, cela console son roi en premier, après le roi console sa reine. Alors je console mon roi en lui faisant plein de chatouilles dans le bas de son ventre, il sourit, et je suis contente de le voir sourire. Je lui caresse son jouet qu’il me dit, et il devient tout dur. Il me dit que je fais mieux que maman, car mes petites mains sont toutes douces. Il me demande après de faire plein de petits bisous dessus. J’aime pas trop. Ça ne sent pas bon et c’est poilu. Après je peux m’endormir. Il me dit qu’on recommencera et qu’après j’aurai plein de jouets. Mais qu’il ne faut pas le dire à maman. C’est un secret. J’aime bien être la princesse de papa, il est mon héros. Je suis sa préférée. Même si c’est un peu bizarre. Il m’aime. »

Camille se lève, elle a la nausée. Il a recommencé. Combien de fois, encore et encore ? Se servir des querelles de ses parents pour pouvoir abuser d’elle, c’est ignoble. Il a continué. Jusqu’à quel âge ? Sa mère triste ? Les femmes toujours tristes ? Une honte. Si elle était malheureuse, à bien y croire c’était la faute de son père qui la brutalisait. Combien de temps cela a-t-il duré ? Combien de temps ce bourreau a-t-il sévi au sein de sa famille pendant qu’il faisait le beau dans le milieu professionnel ? Quand elle voit les coupures de journaux, pléthores d’applaudissements et de congratulations alors qu’il se montrait sous son vrai jour en privé : un monstre, un pervers. Tout n’était que façade. Il manipulait son monde. Qui aurait pu croire sa mère et Camille si elles avaient dit la vérité ? Un avocat renommé abuse de ses femmes ? Tout le monde aurait ri au nez ! Finalement, l’accident s’est trouvé au bon moment ! Il avait court-circuité les abus d’un pervers que rien ne pouvait arrêter. Le hasard avait bien fait son œuvre pense Camille. Bien sûr, personne ne mérite la mort, mais après tout ce que Camille avait entendu sur les meetings avec sa mère : l’impunité de certains agresseurs, certains manipulateurs qui ressortent blancs comme neige, les mères qui se retrouvent sur les bancs des accusées, les enfants aux mains des pervers sans que la justice fasse quoi que ce soit, les manipulateurs narcissiques qui continuent de sévir et de manipuler leurs conjoints en utilisant leurs enfants pour les atteindre en faisant d’irrémédiables séquelles sur les descendants. Leur buts est d’atteindre leurs femmes, d’abuser et détruire, peu importe si leurs enfants sont dans leurs pattes et en souffrent, car ils ne veulent qu’assouvir leur désir, leur désir de vengeance, de destruction, de possession, rien d’autre, et pour cela, peu importe le prix à payer. Et ils se sentent au-dessus des lois. Et Camille comprend mieux pourquoi son père a choisi le métier d’avocat, cela lui permet d’avoir un statut qui le met au-dessus de tout et le rend inatteignable. Qui penserait qu’un avocat ou un homme de loi puisse enfreindre les lois qu’il défend ? Personne ! Défendre la veuve et l’orphelin alors qu’il abusait de sa fille et frappait sa femme ! Il manipulait son monde et savourait son œuvre. Non, elle n’était pas la princesse de son père. Son père ne l’aimait pas. Tout comme il n’aimait pas la mère de Camille pour la traiter de la sorte. Il n’aimait que lui. Il l’aimait que pour assouvir son désir de sexualité. Elle n’était qu’un objet sexuel, qu’un sexe. Qui sait jusqu’où il est allé ? Camille a peur de savoir. Mais elle en est certaine, il est allé trop loin.

Camille n’a jamais eu de petit ami. Elle sait maintenant pourquoi. Du haut de ses vingt-cinq ans, une aventure ne l’a jamais tenté. Embrigadée par sa mère dans ses meetings, militant pour l’aide aux femmes victimes de violences, Camille a intériorisé le fait que l’homme était un monstre pour la femme. Maintenant qu’elle connait une parcelle de son enfance, de ses souvenirs, elle comprend mieux pourquoi elle a fait le choix — est-ce un choix ? — de ne pas avoir eu d’aventure avec un homme. Elle est censée être vierge. Camille est très peu allée voir sa gynécologue. Force est de constater que sentir les mains et un objet dans son utérus la terrorise. Elle prend tout de même rendez-vous pour avoir le cœur net. Une question qu’elle n’a jamais posée vu que cela ne lui a jamais effleuré l’esprit. En somme, tout à fait normal pour une femme de son âge, d’être considérée comme non vierge, mais Camille veut savoir si sa gynécologue peut voir si elle a déjà eu un rapport sexuel. Alors elle y va, prête à en découdre. Se déshabille pudiquement. Camille a toujours été pudique, et timidement prévient qu’elle a quelques questions à poser au médecin, peut être inhabituelle, car elle souffre d’amnésie. Camille s’assoit sur le fauteuil et se laisse ausculter. Elle demande alors si elle a déjà eu un rapport sexuel.

  • Bien sûr, et je peux même vous dire que vous avez porté un enfant.

Camille se sent vaciller. Elle pâlit. Un enfant ? Elle a été enceinte ? De son père ? Il est allé jusqu’au viol ! l’ordure ! Sa mère l’a-t-elle su ? Comment a-t-elle réagi ? Tant de questions s’emmêlent dans sa tête. Comment a-t-il pu ?

Elle ne peut pas rester là sans rien faire. Elle doit savoir, savoir si sa mère savait. Sa mère a dû faire quelque chose, la connaissant militante comme elle est. Elle a dû tout faire pour l’arracher à son bourreau. Elle doit en avoir le cœur net. De ce pas, elle va voir sa mère qui d’un air interloqué se demande ce que lui veut sa fille.

  • Tu savais ?
  • Savoir quoi ?
  • Tu savais pour papa ?

Sa mère met sa main sur sa bouche. Elle doit s’assoir. Elle craint de défaillir. Camille fait resurgir de profonds souvenirs qu’elle cherchait à occulter du mieux qu’elle pouvait par la lutte qu’elle menait auprès d’autres femmes comme elle.

  • Tu te souviens ?
  • Pas de tout, mais je sais des choses. Maman, savais-tu ?
  • Oui, j’ai su.
  • Et qu’as-tu fait ?
  • J’ai essayé de t’éloigner de ton père du mieux que je pouvais. Jusqu’à l’accident.
  • Tu as su pour le bébé ?
  • Oui tu avais 14 ans.
  • Et où est-il ?
  • Il est mort dans l’accident de voiture. Ton père était fort, très fort. J’ai voulu divorcer, et avoir ta garde, porter plainte pour tout ce qu’il t’avait fait.
  • Et ce qu’il t’a fait aussi.
  • Tu te souviens de cela aussi ?
  • Oui maman. Je me souviens. Je suis désolée pour toi.
  • Mais tu te rappelles ce que je t’ai expliqué sur le syndrome d’aliénation parentale ? Ton père me l’a mis devant mon nez, il m’a dit que personne ne me croirait, que je serais traduite en justice si je te gardais avec moi pour enlèvement. Il connaissait les ficelles, personne ne pouvait croire une personne comme moi. Il était réputé, tout le monde l’aimait. Qui croirait-on ? Lui ou moi, une pauvre femme sans emploi qui criait sous les toits à la liberté des femmes ? Je ne savais plus quoi faire. J’ai rejoint des groupes de femmes à ce moment-là pour trouver des réponses. Pour te sauver, pour nous sauver. C’est l’accident qui nous a sauvés.
  • Mais je ne m’en souviens pas.
  • C’est peut-être mieux ainsi.

5, 4, 3, 2, 1, 0. j’ai une crise d’angoisse. Je suis dans la voiture. Maman et papa sont en train de se quereller une nouvelle fois. C’est à cause du bébé. Je le sens bouger dans mon ventre. Papa dit qu’on va avoir un beau petit frère. Maman devient folle. Elle veut divorcer. Papa tente de la persuader du nouveau bonheur à venir, un nouveau bébé. Tu as violé ta fille ! tu vas aller en prison ordure. Je sais ce que cela veut dire le mot viol. Je ne veux pas d’un bébé. Je ne veux pas du bébé de papa. Papa, je ne l’aime plus. Il me fait mal. Il est méchant. Il n’aime plus maman, et j’en ai assez d’être sa princesse. Je veux être une adolescente normale. Faire des études, sortir, et ne pas me cacher avec ce ventre qui gonfle comme un ballon. Je veux une vie comme les autres jeunes filles. Papa est une ordure. C’est un pervers. J’ai découvert ce qu’il me faisait avait un nom, sur internet : inceste. Pénalement puni par la loi. J’entends papa et maman se disputer. J’entends maman parler de plainte, papa l’en dissuade, elle ne pourra rien contre lui. Il est avocat. Elle voudrait avoir ma garde, partir loin de lui, pour qu’il ne m’approche plus, qu’il ne me viole plus, mais il a réponse à tout. Elle n’est rien sans lui. Elle n’a jamais rien fait de sa vie, c’est toujours lui qui a ramené la paie. Il l’insulte. Il l’anéantira, car il gagne toujours. Elle n’est qu’une pauvre fille, elle n’a jamais su rien faire de ses dix doigts, elle n’a jamais su tenir une maison, faire un métier convenable comme lui, le garder. C’est lui qui porte la culotte, elle n’est qu’une pute qui se donne l’allure d’une bourgeoise et d’une intello alors qu’elle est incapable d’aligner dix mots. Il dit qu’elle ne pourra rien faire contre lui, il gagnera contre elle, elle perdra ma garde elle perdra tout et finalement je serais seule aux mains et au sexe de mon père, sa seule possession. C’est lui qui aura mon éducation, car c’est lui qui sait tout, qui a fait des études et qui sait mieux qu’elle. Je comprends que je ne suis rien d’autre qu’un trophée pour mon père, qu’un objet seulement pour gagner contre ma mère. Je sais que maman est intelligente, parce qu’elle m’aime et me respecte. Papa a beau avoir des diplômes, il n’a aucune psychologie. S’il était si intelligent, il saurait que l’inceste est prohibé depuis la nuit des siècles, qu’on ne viole pas, qu’on ne frappe pas, qu’on respecte son prochain, et qu’on respecte les lois qu’on est censé défendre. Papa est donc bête ou un pervers. Un odieux personnage. Je ne suis rien pour lui. Du haut de mes quatorze ans, je comprends tout. Papa est bête, car il étale sa science à maman, mais aussi devant sa fille, en l’occurrence moi, comme si j’étais assez bête pour ne rien comprendre. Je sens maman impuissante. Comment va-t-elle gagner le combat face à un monstre pareil, face à un pervers et un manipulateur qui ne pense qu’à nous détruire ?

Je sens que ma crise d’angoisse revient. Je mets mon sac plastique devant ma bouche et respire pour apaiser l’hyperventilation qui se profile. Je sens les battements de mon cœur se ralentir peu à peu pendant que se profile une idée. Je n’en peux plus de ces cris dans la voiture, je n’en peux plus de ce corps qui enfle, avec cet être qui prend possession de moi. Je sais que je dois faire quelque chose pour maman. Pour tout ce qu’il a fait envers elle, les violences aussi.

Je prends le sac plastique et pendant que papa conduit, je le lui mets sur la tête tout en le tenant fermement à l’arrière du siège. Il se met à hurler, hurler comme jamais. Il ne voit plus rien. Puis c’est l’accident. J’ai gagné. Maman a gagné.

Aurore

Aurore

Josef était un enfant mutique. On ne savait pas ce qu’il pensait et on ne savait pas ce qu’il allait devenir. Il est allé à la maternelle, mais ne se liait pas aux autres. Il observait, observait et observait encore. Il avait les yeux grands ouverts sur le monde, avide, un monde qu’il ne comprenait pas, et qu’il cherchait à décoder.

Très tôt, il se faisait railler par ses camarades, en classe, en cours, se faisait bousculer, traiter de débile, d’attardé, d’handicapé, et à la récréation ou aux intercours, se faisait tabasser dans les toilettes.

Il rêvait d’un monde plus juste. Il aimait se raconter des histoires, et il en avait plein la tête. Sa mère lui en lisait inlassablement, jour après jour, soir après soir avant d’aller se coucher et de l’embrasser afin que ses nuits soient peuplées de rêves.

Et Josef avait des rêves plein la tête, un particulièrement : être fort !

Parfois, face à ses camarades, il voulait répondre, être fort et montrer sa bravoure, son courage qu’il n’avait évidemment pas. Il avait deux pieds gauches et ne savait pas se battre, et ce n’était pas son mode de communication. Il était craintif. Il voulait prouver sa force autrement que par la violence, autrement que par le biais d’un jeu de miroir de coups qui se répondent pour obtenir gain de cause, quant à savoir qui est le plus fort de l’école, pour pouvoir se faire respecter à la force des points.

Josef était mutique à l’école, mais à la maison, il était un grand bavard. Très tôt, il a su lire avant les autres. Il était avide de savoir, et curieux. Il lisait et cherchait à comprendre les choses et à comprendre le monde. Ses jouets ? Il les démontait pour le remonter. Quand il eut des lego, il en faisait de même, inlassablement, pendant des heures. Bien des années plus tard, il démontait les vieux ordinateurs pour en fabriquer des neufs, les vieux robots ménagers de sa mère, pour les comprendre et les réparer.

Mais n’allons pas trop vite ! Josef est à présent en primaire. Il sait lire depuis la maternelle, mais se fait harceler et cherche à avoir sa revanche. On lui avait prédit un avenir noir, du fait qu’i ne parlait pas.

-          Votre enfant n’est pas apte à suivre un cursus normal, avait-on dit à la mère, lorsque Josef ne prononçait pas un seul mot jusqu’à l’entrée du cours préparatoire.

Mais sa mère a bataillé. Josef parlait évidemment. Mais Josef avait peur des autres, peur de l’école. Il ne parlait que lorsqu’il se sentait à l’aise. IL répétait chaque matin, le nœud à l’estomac et un mal de ventre à sa mère

-          Maman, je ne veux pas aller à l’école ! les enfants sont méchants avec moi.

-          Il faut que tu sois courageux. L’école est importante, tu gagneras par la force du savoir ! Et je le sais, tu es le plus intelligent des enfants même si les autres ne le savent pas encore.

Et elle embrassa son fils lorsqu’ils arrivèrent à la grille de l’école.

Josef priait chaque soir Dieu pour qu’il le rende plus malin, plus intelligent, et plus fort que les autres. Mais Dieu ne répondait pas à ses prières.

Un jour plus difficile qu’un autre, un gamin d’une tête de plus que lui s’en prie à lui. Il le coinça lui et sa bande dans les toilettes et s’amusa avec un foulard.

-          On va voir combien de temps tu résistes avec ce truc au cou, cela va être marrant !

Jef se débattait comme il pouvait, mais il était plus petit, et ils étaient plus nombreux que lui, qui était tout seul. Le gamin enroula l’écharpe autour de son cou et serra fort, fort et l’étrangla. Josef étouffait et essayait de desserrer l’écharpe de sa gorge. Alors on lui a maintenu les bras. Josef ne comprenait pas ce qu’il avait fait, ne comprenait pas pourquoi tout le monde riait autour de lui et ce que le fait qu’il étouffe avait de si amusant ! Un voile noir obscurcit ses yeux, ses pieds se défilèrent, en même temps qu’il se sentit partir.

Josef sentit une lumière briller devant lui et l’aspirer. Une main lumineuse l’attrapa alors qu’il semblait tomber vers un puits sans fond tout noir. Et il vit un visage magnifique d’un ange, une petite fille aux yeux bleus et aux boucles dorées lui sourire. Il émanait en elle une chaleur et un aura divin qu’il n’avait jamais vu chez une personne.

-          Je suis Aurore, ton ange gardien. Tu n’es plus seul, je serais toujours à tes côtés.

-          Pardon ? dit Josef en écarquillant les yeux en réalisant qu’il venait de perdre conscience

-          J’ai dit, ça va ? demanda la maîtresse en relevant Josef encore choqué parce qu’il venait de se passer.

Josef tourna la tête et regarda partout autour de lui, cherchant la petite fille nommée Aurore, mais ne la trouva pas.

 

Josef détourna le regard du restant de la journée, n’osant rencontrer ses agresseurs qui semble-t-il, avaient fui. Mais une fois arrivé à la maison, il osa enfin porter le regard sur sa mère et une chose bizarre se passa.

-          Restons impassibles, il ne doit rien remarquer.

-          Remarquer quoi maman ?

-          Je n’ai rien dit Josef voyons, à qui tu parles

-          Mais si !  tu viens de parler

-          Non je t’assure, tu dois t’imaginer des choses, ou tu entends des voix…

Entendre des voix ? Josef entendrait-il les voix des gens ? Il allait voir son père, mais rien ne se passa, jusqu’au moment où leurs regards se croisèrent.

Et il entendit :

-          Quel idiot ai-je été ? Encore une fois, je suis un bon à rien, j’ai tout fait raté, j’ai raté ma vie, j’ai raté mon couple, j’ai raté mon job, je ferais mieux de partir…

-          Non, non, papa, ne pars pas ! pourquoi tu veux partir ?

-          Mon chéri, qui t’a dit que j’allais partir ?

-          C’est toi !

-          Je n’ai jamais rien dit de tel !

-           Si, ta tête l’a dit

-          Quelle imagination débordante, cet enfant ! Allez, pars faire tes devoirs maintenant et arrête de raconter des histoires.

Josef qui n’avait jamais compris les autres découvrit qu’il avait peut-être un don. Arrivé à l’école, lui qui fuyait du regard les personnes se mit à fixer les élèves un à un.

-          Mais qu’est-ce qu’il a ce débile à nous fixer comme cela ! Tu veux ma photo ?

-          Tu penses que cela ne sert à rien parce que tu te trouves trop laide pour Maxime, mais Maxime t’aime alors va le voir et je suis sur qu’il voudra t’avoir comme amoureux.

-          Et qu’est-ce que tu en sais, le débilos !

-          Je le sais, mais je ne peux pas te le dire ! Mais je sais que tu es belle.

Et jour après jour, il entrait dans la tête des gens, et prodiguait des conseils non pas pour se venger, mais pour aider les gens, pour prouver que l’on pouvait faire du bien autour de soi avec un don que Dieu avait voulu nous donner. Il se retournait par moment dans la cour et chaque fois qu’il allait avoir la pensée de l’autre, il sentait une présence au loin. C’était Aurore, la petite fille qui l’avait sauvé de l’étranglement. Et une fois le conseil donné à ses camarades, elle disparaissait subitement.

La bande de copains qui avait tenté de l’étrangler arriva.

-          Alors tu fais ton malin ? Tu te crois plus intelligent que nous ?

-          Non, j’essaie d’aider les gens tout simplement

-          Parce que tu crois que tu vas avoir toute la cour à tes pieds de cette manière ?

Josef n’osait pas le regarder dans les yeux, il avait peur de l’affronter, terrifié encore parce qu’il avait subi précédemment. Il ne voulait pas que cela recommence.

-          Crois-tu qu’on va t’aimer de cette manière ? Regarde-moi quand je te parle ! T’a peur de moi, hein, tu parles plus d’un seul coup ! tu n’es qu’une poule mouillée ! tu n’as pas de couille !

Josef, remonta peu à peu ses yeux vers son bourreau et affronta son regard et il y lut toute la misère du monde.

-          Tu crois donc que c’est en martyrisant les plus petits que toi que tu vas enfin faire comprendre à ton père que tu es un homme et quelqu’un de bien ? En fait, tu es aussi méchant que lui, tu es aussi faible que lui et malheureux, les coups, c’est l’arme des faibles, frapper les plus faibles, ce n’est pas un signe de force, mais un signe de faiblesse, tout comme ton père te frappe !

-          Qui t’a dit que mon père me frappait !

-          C’est ton comportement qui me l’a fait comprendre. Tu es pire que lui. Frapper c’est être faible, aimer c’est être fort. Alors qui est le meilleur donneur de leçon ?

Puis Josef partit laissant stoïque son adversaire qui n’avait pas compris ce qui venait d’arriver.

À partir de ce jour-là, plus personne ne le toucha.

 

Gaétan venait de reposer le pinceau imbibé de peinture qui avait servi à raconter les histoires extraordinaires d’un enfant autiste. Gaétan regarda sa femme préparer le repas, il la fixa intensément en la fixant du regard.

-          Gaétan, arrête cela, tu sais que je n’aime pas cela, cela me met mal à l’aise, la supplia-t-elle.

Gaétan était heureux, Aurore était un ange, son ange.

 

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